Genre et numérique


🙋🏼‍♀️ Les femmes dans l’histoire de l’informatique

Malgré l’importance croissante des technologies numériques dans nos sociétés contemporaines, les métiers de l’informatique sont majoritairement exercés par des hommes. Pourtant, les femmes ont contribué significativement au développement de ce domaine, avant d’en être progressivement éloignées. Que s’est-il passé?

Jusqu’au milieu des années 1940, les premières opérations de programmation sont principalement effectuées par des femmes. A l’instar des Harvard Computers, engagées à la fin du XIXe siècle par l’Observatoire de Harvard pour classer des données astronomiques, les femmes réalisent alors des calculs fastidieux, notamment dans les secteurs de la balistique et de la cryptographie. En 1944, les programmeuses de l’ordinateur ENIAC sont six mathématiciennes. Mais la complexité de ces opérations est largement minimisée et le travail de programmation logicielle (le “software”) dévalorisé en regard de la conception technique (le “hardware”), domaine considéré comme prestigieux et essentiellement investi par les hommes. La frontière entre ces deux catégories est toutefois moins rigide qu’on ne voulait bien l’affirmer et les femmes de l’époque ont également contribué au développement des aspects matériels de l’ordinateur.

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L’ordinateur ERA 1103, 1955. Source : NASA

A partir des années 1970, le logiciel gagne en importance et en prestige. L’activité de programmation se professionnalise et attire davantage d’hommes diplômés, écartant progressivement les femmes autodidactes. Dans les années 1980, la micro-informatique se démocratise et les premiers ordinateurs installés dans les foyers sont le plus souvent investis par les garçons adolescents, auxquels les objets techniques ont toujours été principalement confiés en premier. De ces usages émerge une culture “geek” qui contribue à véhiculer des représentations masculines de la programmation.

Aujourd’hui, les jeunes femmes peinent encore à se projeter dans les métiers de l’informatique, malgré de bons résultats scolaires dans les branches scientifiques et un usage quotidien des outils numériques. Finalement, la frontière genrée entre l’usage des techniques et leur maîtrise est un phénomène banal qui existe dans d’autres domaines comme l’automobile : si toutes les femmes conduisent des voitures depuis longtemps, très peu d’entre elles en conçoivent ou en réparent.

En dépit de nombreuses initiatives déployées pour encourager leur participation dans le domaine technique (campagne de communication dans les écoles, prix destinés aux femmes, création d’associations, etc.), la situation n’évolue que très peu. L’enjeu est désormais de parvenir à transformer en profondeur la culture de l’informatique et du traitement des données, notamment au travers de mesures et de programmes d’éducation numérique axés sur l’inclusion sociale.


🙅 Une Tech’ sans femmes : quelles conséquences ?

Le manque de diversité dans le secteur du numérique n’est pas sans conséquences sur la conception des technologies. L’intelligence artificielle, en particulier, cristallise de nombreux débats autour des biais inscrits dans son fonctionnement. Ses concepteurs, en grande partie des hommes blancs hétérosexuels disposant d’une même formation technique, créent, de façon consciente ou inconsciente, des systèmes qui sont nécessairement marqués par leurs expériences, leurs intérêts et leurs besoins. Loin de la neutralité à laquelle elle prétend, l’IA est influencée par le contexte dans lequel elle est conçue et tend ainsi à reproduire certaines discriminations.

Un exemple parlant est celui du système de recrutement automatisé d’Amazon (aujourd’hui abandonné) qui, en s’appuyant sur des données issues de précédents recrutements, discriminait systématiquement les femmes] candidates à des postes techniques. Les emplois de ce type étant essentiellement occupés par des hommes, le système en a conclu qu’il s’agissait d’un critère déterminant. L’IA d’Amazon reproduisait les biais existants lors de processus d’embauche réalisés par des humains.

Les assistants vocaux constituent également une illustration des représentations qui peuvent être codées dans une technologie. Le choix d’un nom de femme (Cortana, Alexa, Siri) et d’une douce voix féminine correspond au cadre de référence genré des fonctions d’assistanat (hôtesse, secrétaire,…). Des expériences ont montré que ces voix étaient programmées pour répondre avec soumission et servilité aux insultes sexistes et que, de façon générale, les requêtes tendaient à être formulées sur un ton autoritaire. La représentation systématique de ces interfaces vocales en tant que femmes est problématique, car elle participe à renforcer l’association entre féminité et servilité.

Les systèmes d’intelligence artificielle se nourrissent par ailleurs d’un important volume de données disponibles sur Internet et embarquent ainsi les représentations culturelles et sociales qu’elles contiennent. Microsoft en a fait l’expérience avec son chatbot «Tay» qui, entraîné par des tweets, s’est mis à proférer des propos racistes et a dû être retiré moins d’une journée après son lancement.

Plus généralement, de nombreux produits et services technologiques ne prennent pas ou peu en compte les besoins spécifiques des femmes. On peut penser aux smartphones, dont la taille n’est souvent pas calibrée pour les mains des femmes ou aux logiciels de reconnaissance vocale, qui fonctionnent moins bien avec des voix féminines. De la même manière, les applications de fitness qui collectent de nombreuses données de santé sont conçues en référence au corps masculin. Ainsi, si ces technologies ignorent, par exemple, les fluctuations de la pression artérielle qui peuvent survenir lors du cycle menstruel, elles risquent de fournir aux utilisatrices des informations erronées.

Face à ce constat, un nouveau marché est aujourd’hui en plein essor : la femtech. Ce terme recouvre tout un ensemble de produits technologiques et applications spécifiquement dédiés à la santé des femmes. Cela comprend, par exemple, les bracelets de fertilité connectés ou les applications de suivi des règles. Essentiellement portée par des femmes entrepreneures, la femtech suscite l’intérêt d’un nombre grandissant d’investisseurs. Au-delà de l’opportunité économique, l’enjeu de ce secteur (encore marginal) est de faire évoluer la manière de penser la technologie en rendant visibles des problématiques qui concernent directement les femmes et qui ont longtemps été ignorées. En ce sens, la femtech s’inscrit de façon plus large dans les mouvements féministes actuels.

Cette évolution n’est toutefois pas envisageable sans une réelle inclusion des femmes et un profond changement de culture dans les grandes entreprises du numérique. Les mobilisations des employé·e·s de Google en 2018, dans la lignée du mouvement #metoo, ont mis en lumière les progrès à réaliser pour garantir aux femmes un environnement de travail sûr, transparent et inclusif.

Références

  • Le livre d’Isabelle Collet, Les oubliées du numérique (2019)

  • L’émission radio «Femmes et numérique : un bug dans la matrice» (France Culture)

  • Un reportage sur les biais de genre dans le traitement algorithmique des offres d’emploi (RTS)

  • Le livre d’Aude Bernheim et Flora Vincent, L’intelligence artificielle, pas sans elles! (2019)

  • La série de 6 reportages «Les filles aux manettes» sur la place des femmes dans le domaine des jeux vidéo (Arte Creative)

  • Une frise chronologique sur les femmes dans l’histoire de l’informatique (issue de l’exposition Computer Grrrls à la Gaîté Lyrique, 2019)

Glossaire

  • Biais (algorithmiques)

  • Femtech

En classe

🕑 20 min | ✍️ débranché

Montrer aux élèves les deux images ci- dessous et discuter les points suivants :

a) Que représente chacune de ces images?

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Magazine Cosmopolitan, 1967

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Publicité pour l’ordinateur Apple II, 1977


b) Que s’est-il passé du point de vue de l’informatique entre ces deux périodes (années 1950 et 1970)?

Note

Note : Pour une analyse plus complète de la communication autour des premiers micro-ordinateurs Apple, voir·: Stein, J. A. (2011). Domesticity, Gender and the 1977 Apple II Personal Computer. Design and Culture, 3(2), 193-216. Article disponible ici


c) Qu’en est-il aujourd’hui?


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pourcentage de femmes selon les domaines de formation (États-Unis)