Le digital labor


☝️ Qu'est-ce que le digital labor?

Le terme digital labor ou «travail du clic» apparait au début des années 2010 dans le champ de la sociologie. Cette notion désigne l’ensemble des activités effectuées via des plateformes numériques et qui permettent à celles-ci de générer de la valeur. Le digital labor s’inscrit dans le principe du crowdsourcing, qui consiste à faire appel à une «foule» (crowd) d’internautes, rémunérés ou non, pour réaliser différents types de tâches. Les formes que prennent ce travail sont diverses mais on peut distinguer trois modalités principales [1] .

  • Le travail à la demande (sous-rémunéré)

Il s’agit d’un travail à la demande pour lequel la mise en relation entre prestataires et demandeurs passe par l’intermédiaire d’une plateforme numérique. Cette catégorie regroupe les activités issues d’une nouvelle économie des «petits boulots» (gig economy) : transport de personnes, livraison de repas, prestations de ménage, services de réparation, etc. Ces professionnels ont un statut d’indépendant tout en étant très étroitement liés à la plateforme. Ce travail à la demande prend place dans un contexte géographique précis (une ville, une région) et peut être soumis à des réglementations locales. Si les défenseurs de ces pratiques mettent en avant la flexibilité offerte aux travailleurs, ses détracteurs soulignent le risque de voir émerger une «zone grise» de l’emploi qui s’apparente au salariat, sans pour autant offrir les protections sociales qui l’accompagnent


  • Le micro-travail réalisé sur des plateformes (micro-rémunéré)

Cette catégorie recouvre l’ensemble des micro-tâches réalisées en ligne contre une très faible rémunération. Des entreprises, des institutions mais aussi des particuliers font appel à des travailleurs pour effectuer de petites opérations (clics sur une image, saisie de données, transcriptions, remplissage de questionnaires, annotation de vidéos) au travers de plateformes numériques, telle que Amazon Mechanical Turk (voir ci-dessous). Il s’agit essentiellement de tâches qui ne peuvent être accomplies par des machines et qui, dans certains cas, servent à entraîner des systèmes automatisés. Cette catégorie comprend également les personnes chargées de filtrer les contenus des réseaux sociaux. Dans ce cas, à la précarité du travail s’ajoute la question des conséquences psychologiques d’une exposition régulière à des images violentes.


  • Le travail effectué par les internautes (non-rémunéré)

Lorsque l’on interagit avec des plateformes en ligne, des applications mobiles ou encore des objets connectés, nous laissons des traces concernant notre profil et notre comportement. Celles-ci peuvent ensuite être analysées et valorisées afin d’améliorer un service ou de vendre à des entreprises des audiences publicitaires ciblées. Si l’accès à ces services est généralement gratuit, les internautes fournissent quelque chose en échange : ils produisent des données dont sont extraites une certaine valeur. S’agit-il alors d’un travail? La question divise la recherche et le débat public. Pour les uns, la relation entre usagers et plateformes (essentiellement les médias sociaux) relève d’un rapport d’exploitation dès lors que l’activité des utilisateurs génère du profit, tandis que pour les autres, cette relation s’inscrit dans le cadre d’une participation autonome et consentie à un environnement ludique dans lequel l’utilisateur s’engage avec plaisir et sans contrainte.

[1] Selon la classification du sociologue Antonio Casilli. Voir références.


👨‍💻 Amazon et le «travail du clic»

Depuis 2005, le géant du e-commerce Amazon possède une plateforme qui met en relation des entreprises avec des personnes disposées à réaliser en ligne des tâches simples et répétitives (reconnaissance d’images, saisie de données, classement de mots, etc.) contre une très faible rémunération. Cette plateforme se nomme Amazon Mechanical Turk (ou «Turc mécanique») en référence à un célèbre canular du XVIIIe siècle.

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Le canular du Turc mécanique. Source : Wikipédia.

Inventé en 1770 par le Hongrois Wolgang von Kempelen, le Turc mécanique était un automate habillé à la mode turque. Cette machine jouait particulièrement bien aux échecs et semblait imbattable. Mais c’était une supercherie ! A l’intérieur de l’installation se trouvait un véritable joueur d’échecs qui manipulait le mannequin.

Si Amazon se réfère à ce canular, c’est que sa plateforme proposant les services de «micro-travailleurs» (ou turkers) fonctionne sur le même principe. Elle propose de créer l’illusion d’un système automatisé en s’appuyant sur le travail de «petites mains» qui exécutent des tâches que les machines ne parviennent pas à effectuer.

Amazon Mechinical Turk se révèle particulièrement utile pour des tâches simples et répétitives qui ne pourraient être confiées à un seul individu et pour lesquelles les machines fourniraient un résultat décevant. Ces opérations ne requièrent pas de qualifications ou savoirs particuliers, mais font appel à une analyse qui relève du sens commun et qui peut être effectuée en un coup d’œil par un humain, alors qu’elle demeure encore inaccessible à une système informatique. Il peut s’agir, par exemple, de déterminer le contenu d’une image ou d’évaluer la tonalité d’un tweet. Certaines de ces opérations ont également pour objectif d’entraîner, compléter ou corriger des systèmes d’intelligence artificielle (résultats de moteurs de recherche, requêtes transmises à un assistant vocal, analyse d’image). L’importance du travail humain dans le développement des ces systèmes permet de relativiser l’autonomie des machines et des algorithmes dans les processus d’apprentissage automatisés.


🌍 ‍Un nouveau regard sur le Web

La notion de digital labor témoigne, de façon plus générale, d’une nouvelle manière de penser le Web social. Jusqu’à la fin des années 1990, le réseau était avant tout envisagé comme un espace permettant l’échange d’informations, la mise en relation d’individus, la création de communautés en ligne dans un esprit participatif non-marchand. Les interactions semblaient guidées par des principes de collaboration, de partage et de don. Les observateurs de ces pratiques dressaient donc un tableau élogieux du Web.

Mais au milieu des années 2000, avec l’arrivée des plateformes, le regard porté sur le Web s’est transformé. La recherche s’est attachée à souligner la transformation du réseau en espace marchand, dominé par quelques acteurs centraux qui tirent profit des pratiques des utilisateurs. Les travaux autour du digital labor s’inscrivent dans cette perspective critique.

Références

  • Le livre du sociologue Antonio Casilli, En attendant les robots (Seuil, 2018)

  • Un dossier thématique très complet proposé par La Revue des médias qui met en lumière les débats autour de la notion de digital labor

  • Un autre dossier de La Revue des médias qui se penche sur une catégorie particulière de travailleurs du clic : les modérateurs de contenus des réseaux sociaux.

  • Une émission radio de la RTS sur le digital labor

  • Une enquête du magazine Usbek et Rica sur les travailleurs du clic

  • Un article du journal Le Temps sur l’ouvrage deux chercheurs consacré aux “travailleurs fantômes” en Inde et aux Etats-Unis

  • Le témoignage d’un ancien “travailleur du clic” qui raconte les dessous du fonctionnement de l’assistant vocal Siri.

Glossaire

  • Crowdsourcing

  • Digital labor

  • Intelligence artificielle

  • Micro-travail

  • Plateforme

  • Algorithme

Liens thématiques


En classe

🕑 45 min | ✍️ débranché

Diffuser l’épisode « Micro-travailler plus pour micro-gagner moins» de la série documentaire “Les invisibles” (France TV, 20 min.).


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Suite à la diffusion, poser les questions suivantes :

a) Pourquoi parle-t-on de «micro-travail»?

b) L’un des témoins dit : “On aide l’algorithme à s’améliorer”. En quoi les algorithmes doivent-ils être “améliorés”?

c) Pourquoi la personne qui travaille pour Google témoigne-t-elle à visage caché?

c) Pourquoi des entreprises basées en France, telles que Disneyland Paris, font-elles appel à des travailleurs si éloignés? Que nous dit cette situation de la “géographie” de l’IA?

d ) Pourriez-vous citer des situations lors desquelles nous entraînons les algorithmes, parfois sans nous en rendre compte?